C'était la grève. Simple et nette. Oh, ça les faisait bien soupirer, dans leur coin, mais il ne flancherait pas ! Ce serait mal le connaître. Oui, c'était dur. Oui, c'était épouvantablement long. Et oui, c'était très tentant de s'abandonner à un confort rondouillard. Mais comprenez-moi bien ! Si personne ne mène les bons combats, où va le monde ? Le Joker se grattait furieusement la tête. Derrière l'oreille. Le cou. Et il laissait de grosses et grasses peaux mortes sur son sillage. Ses cheveux collaient et étaient enneigés de pellicules. Si ça le dérangeait ? Les premiers jours seulement. Puis ensuite, ça a coulé tout seul. Certains tenaient des mois. Bouddha, voyez-vous. Comment faisait-il ? Et bien il ne faisait pas. Des mois sur son rocher. Quelqu'un l'a emmerdé ? Bien sûr que non ! Alors, les psychiatres avaient décidé de le pousser à rompre ce jeûne ridicule. C'est qu'on ne comprenait pas ses idéologies ! Tout ça avait commencé avec un pari. Stupide. Ca va de soi. Le Joker s'était entiché d'un gars qui passait la serpillière dans le couloir. Parfois, il lui faisait passer du chocolat. Parfois d'autres choses. Alors ils avaient commencé à discuter. Il lui parlait de sa vie d'artiste raté et le Joker répondait des banalités philosophiques sur la vie. C'était d'un chiant... Mais le petit gars avait de la ressource. Ils avaient finis par se demander ce que ça faisait de ne pas se laver pendant quelques jours. De là était partie le jeu de celui qui restera le plus crade le plus longtemps. Sauf que ce petit jeu avait alerté tous les psychiatres qui ne comprenaient guère la démarche. Ni l'agent de surface, ni le Joker n'avaient balancé la vanne. Mais quand l'employé d'Arkham s'aperçut de l'envergure que prenait ce délire somme toute idiot, il décida d'arrêter. Pas le Joker.
Quand un mois commença à passer, on le força. Camisolé, il se débattait pourtant pour ne pas recevoir le même geyser d'eau froide dans la gueule. Il commença à sentir le chien mouillé, la transpiration, la crasse. Sa peau se dessécha. C'est quand il devint urgent qu'il coopère à une toilette régulièrement et correcte qu'on commença à se poser la question du "Pourquoi ?" avec plus de sérieux. Revendiquait-il quelque chose ? Était-il en plein délire ? Avait-il un caprice à faire soumettre ? Le Joker était un enfant qu'on maternait un peu trop par-ci et qu'on traitait comme un animal par-là. Alors, deux écoles vinrent le jour. Ceux qui assuraient qu'il n'y avait qu'à le sangler pour laisser des aides-soignants faire sa toilette (mais cette technique, à long terme, demandait sans doute trop d'effort et d'énergie inutile). Et ceux qui désiraient tenter établir un dialogue avec le petit amas de crasse qu'il était devenu. Mais encore une fois, le Joker établirait sa petite tyrannie de diva et cela, le corps psychiatrique se le refusait.
La cellule du Joker dégageait une monstrueuse odeur de transpiration et de pourriture. On aurait dit qu'il était en train de se putréfier. L'infection obligea les sanitaires à mettre le Joker en quarantaine pour pouvoir désinfecter sa cellule. Cependant, l'odeur était presque impossible à faire disparaître. C'était coriace, comme encré dans la pierre. C'en était sans doute trop, le personnel médical avait prit une décision. Que le Joker ignorait encore mais qu'à cela ne tienne ! Il saurait bientôt si ses bourreaux était démocrates ou républicains.