Biographie Comme la plupart des gens qui finissent par s’impliquer dans la vie à Gotham, et dans le cas présent on peut même parler d’action humanitaire, Ruth y est née.
Ses parents étaient des prolos pauvres et juifs aux racines polonaises. Son père avait quitté l’Europe en hâte lors ses plus sombres heures soviétiques et s’était d’abord réfugié au Canada. Puis, quand le climat gelé entre le vieux et le nouveau continent s’adoucit au profit d’un certain libéralisme, il s’installa à Gotham City avec sa famille. C’était un très bel homme avec une mâchoire très forte à la Sylvester Stallone. Quand Ruth est venue au monde, toute petite, toute pâlotte et les yeux comme déjà infectés de pollution à travers la poche ventrale, elle avait clairement l’air ridicule à ses côtés.
Malgré leur mariage hâtif, ses parents s’aimaient et ils aimèrent leur fille du mieux qu’ils le pouvaient. Ils tenaient une épicerie au nord de la tranche Downtown, qui n’existe plus aujourd’hui puisque ses fondations se trouvent en dessous du moins en moins neuf Iceberg Lounge. L’intérieur de la boutique était rempli d’odeurs de souk et de vieux matériaux. On pouvait payer à crédit. A l’époque où la région était encore parmi les plus désolées de la ville, il régnait une atmosphère humaine de solidarité. Sa mère, quoi qu’illettrée, tenait la caisse avec beaucoup d’orgueil et son père transportait les cartons, conduisait la camionnette et comptait la monnaie. La recette mensuelle était suffisante pour faire bien vivre une toute petite famille comme eux.
Ruth vivait au dessus de la boutique, dans l’appartement. C’est sur le plancher flottant du séjour qu’elle a fait ses premières tentatives de ramper, quatre patte, sauter, marcher, courir et tomber. Quand elle y repense, elle revoit le salon et ses tapisseries vieillottes, sa décoration ringarde en porcelaine pastel et ses meubles vernis, submergés de petits napperons en dentelle, tout organisé autour du fauteuil de papa en cuir de chèvre, bien en phase avec l’écran de télévision. Toutefois elle ignore si ce sont de véritables souvenirs ou si ce sont les goûts décoratifs de Jeremiah Arkham qui infectent toute sa mémoire.
Son enfance est gaie. Elle est suffisamment choyée pour ne pas trop souffrir de la précarité ou de son physique de petit moineau déplumé. Ruth n’était pas une enfant très jolie. Les cheveux peinaient à pousser sur son petit crâne blanc et elle était maigrichonne avec un ventre tout rond. A l’école, c’était une petite fille joyeuse, vive, un poil trop remuante et très sociale. Son sérieux et son assiduité précoces l’amenèrent à sauter une classe à deux reprises.
Ce sont des films comme Psycho, M le Maudit ou Dr Jekyll et Mr Hyde qui ont créé sa vocation. Son père lisait un petit journal local à ses heures et quand Ruth apprenait à lire, elle en déchiffrait certains articles. C’était l’époque des figures naissantes du Gotham de nos-jours. Si la plupart des peinturlurés n’étaient pas encore célèbres, ni même nés, les faits divers se multipliaient déjà et l’interrogeraient beaucoup. La télévision acheva de déposer en elle une curiosité morbide qui la motiva toujours plus que le don de soi ou la volonté d’aider véritablement les malades mentaux.
Ruth a toujours su vouloir être psychiatre. Elle ne s'est presque jamais détournée de cet objectif, même en s'accordant des périodes de ralenti. S'il y avait bien une place où elle savait qu'elle était attendue, c'était celle-ci. Il fallait travailler dur pour s'assurer le siège de l'observateur, de l'oreille attentive et de l'enquêteur. Le psychiatre c’était celui qui pouvait répondre à toutes les grandes questions. C’était celui qui pouvait sonder l’âme humaine, qui lisait des œuvres indigestes pour le reste du monde, qui portait autour de son cou les clés du savoir, celui dont la police aurait toujours besoin, celui qui sera toujours un mystère fascinant pour les journaux, celui qu’on admire mais qu’on envie pas, à la manière d’un Van Helsing sauce Esprit Criminel. On ne peut pas se tromper quand on est psychiatre. On est salvateur. On est nécessaire.
La presse et les polars l'ont inspirée. Le cinéma d'horreur aussi, surtout à l'adolescence. C'est très naturellement qu'elle commença des études de médecine après sa graduation. Ses parents approuvèrent son choix mais l'université était particulièrement chère.
A cette période, Ruth n’avait qu’une terreur : que son père plonge dans des affaires criminelles dangereuses pour subvenir à ses besoins d’étudiante du niveau supérieur. A l’époque, c’était déjà plutôt commun que d’honnêtes travailleurs se retrouvent dans les pires affaires du monde pour donner un coup de pouce à leur famille. Grâce à la technologie balbutiante des années 80, elle trouva très naturellement la solution au problème de budget, pour ne pas ruiner sa famille.
La première fois qu'elle a mis des talons hauts et une mini jupe, Ruth s'est sentie irrésistiblement puissante. Où qu'elle aille, les gens autour d'elle savaient et ne pouvaient que la regarder. Pour une femme, les accessoires suffisent. Il n'y avait pas du tout besoin d'être jolie. Elle portait les cheveux oranges, tondus ici et là. Ses ongles étaient peints en noirs et sa bouche avait toujours un rictus agressif. Le sentiment qui l'envahissait quand elle revêtait ce vêtement de roulure était si euphorisant qu’au début elle se promenait le jour, de restaurant en supermarchés, sans autre but que de paraître sous cette apparence.
La prostitution ne lui est jamais apparue comme un manque de respect envers elle-même. Pour entrer en contact avec ses clients, elle passait par le minitel. Jamais elle n'a rencontré d'hommes abusifs ou violents, au contraire. Leur timidité et leurs tares les rendaient touchant. Tous avaient du mal à accepter leur carence de virilité, leur pénis trop court ou tordu, leur corps abîmé ou déformé, leur incapacité à être performant et à donner facilement du plaisir.
Pour Ruth, c'était un marché qui avait tous les avantages du monde. Ses études ne lui permettaient pas de faire un travail commun. Non seulement la solution était rapide et simple, mais elle rapportait beaucoup plus que n'importe quel job. La prostitution accompagna ses études jusqu'à la fin de son école de médecine à Gotham. Elle lui permit aussi de ne pas devenir folle à cause de l'intensité de son rythme estudiantin. Ça lui aérait le crâne.
Abandonner fut long. Comme les drogues les plus insidieuses, elle prit du temps avant de s'arrêter définitivement. Le moindre besoin d'argent rappelait une dernière fois, puis une autre. Pour compléter sa formation et se spécialiser en psychiatrie, elle dû quitter Gotham, qui manquait de structure. En changeant de ville, elle rangea la pute au placard et se glissa dans des vieilles paires de jeans et de baskets pour toujours.
L’expérience marque en elle un certain recul à propos de la féminité. Tout le reste de sa vie, on lui reprochera de se tenir, de parler et de fumer comme un homme mais il lui importera peu.
Pendant son stage, elle sortit avec un psychiatre de l’hôpital de New Brunswick. Leur histoire dura quelques mois et fut d’une grande violence émotionnelle. Chacun séduit mais incapable de se comprendre ni de s’accorder dans leur vision du travail, du fait de leur milieu radicalement opposés, ils se séparèrent juste avant d’en venir aux mains. Ruth obtint son diplôme de fin de stage malgré tout. Son séjour à New Brunswick laissa en elle une emprunte d’une couleur bizarre. Tout y semblait si calme et facile. Les patients que l’on traitait avaient une pathologie reconnue, il y avait des traitements à suivre, des traitements écrits, recommandés, plusieurs fois testés. Il n’y avait pas véritablement de recherche, c’était plutôt de l’accompagnement. Avec ce train-train, les patients avaient une chance de guérir. Les médicaments, les exercices et les consultations étaient de véritables clés. Comment appliquer de telles méthodes à Gotham quand la presse élève ses criminels au rang d’égérie ou de divinités du mal ? Ruth comprit assez vite pourquoi la psychiatrie à Gotham échouait systématiquement. Elle se persuada qu’on ne pouvait guérir Gotham qu’en la comprenant elle-même, profondément, de façon endoscopique. A l’époque elle était encore assez optimiste.
Ruth effectue encore sept stages comme celui-ci, d’une longueur respective allant de dix mois à deux ans. Pendant cette période, elle écrit sa thèse sur
Les Masques de la Terreur Nocturne, dont le titre de best-seller lui permit d’accrocher l’intérêt du plus grand asile psychiatrique de sa ville de prédilection qui la félicita par courriel.
A l’âge de 35 ans, elle commença par travaille à Central Gotham comme consultante puis comme psychiatre pour les cas post-traumatiques. Ses patients étaient pour les deux tiers des agents de sécurité et des policiers. Malgré l’ambiance plutôt agréable de l’hôpital et l’aspect passionnant de ses consultations, Ruth prit la décision de le quitter après 3 ans de bons services, pour ouvrir son propre cabinet. Elle y parvint et inaugura la plaque à son nom dans les mois qui suivirent sa démission. Ainsi, elle obtint plus d’indépendance et put organiser son emploi du temps et ses consultations elle-même. Cette liberté charmante lui permit de sortir un premier livre :
Cantiques d’un Entre-Monde : l’underground Gothamien et le mythe des origines sous-terraines de l’Enfer. Quand le livre sortit, il fut peu remarqué du grand public, bien évidemment, puisque c’était un traité scientifique, quoi que teinté d’historicité. Du côté des professionnels, il rencontra une grande indignation de la part des plus âgés qui estimaient que Ruth faisait de la complaisance avec la presse, ennemi principal, et qu’elle jouait le jeu de la théorie paranoïaque « Gotham Maudite ». D’autres, plus rares mais très précieux, accordèrent à cet ouvrage d’être un bélier qui enfonça une porte du tabou. C’était un des premiers livres à parler aussi franchement d’une maladie mentale à l’échelle d’une ville entière. Le style littéraire très cru de Ruth Adams contribua aussi à en faire un traité rentre-dedans. Aujourd’hui cela paraît dérisoire mais il y a presque quinze ans, dire que Gotham était « malade » et frôler l’ésotérisme pour mieux appuyer sa rationalité n’était pas évident du tout.
L’asile d’Arkham la contacta pour l’inviter à travailler en son sein. Elle commença par refuser et sortit entre-temps quatre petits traités réunis sous l’intitulé «
Les Demi-Dieux du Times » où elle s’intéresse à la psychose populaire autour d’une sélection parmi les figures montantes démonisées par la presse locale. Ce petit cahier s’est traduit comme un grand « oui » final à la demande de ralliement de l’hôpital gothique.
Ruth peut se vanter d’avoir finalement rejoint l’asile d’Arkham pour une pure raison de désir professionnel. Son cabinet aurait pu tenir la route encore quelques temps et sa maison d’édition lui garantissait un complément de salaire suffisant. C’est pleine de sa curiosité et de son expérience qu’elle s’installa dans son bureau, au deuxième étage de la première aile, côté ouest, il y a bientôt cinq ans.
Son rapport avec le reste du personnel est plutôt sympathique. Sa longévité dans l’établissement la rend admirable. Elle en connaît maintenant le moindre recoin, du moins le croit-elle. Dans son bureau, elle écoute souvent un peu de piano classique ou de vieux disques punk rock de son adolescence. Entre sa collection de romans
Rouge-Sang et
Le Passage, elle conserve les dossiers de ses patients, cornés et recornés, mille fois lus. Son bureau est rempli d’annotation. Il sent le tabac froid. Le fauteuil en cuir de chèvre, central, a prit les formes de sa ménopause. Ses cols roulés et ses petites lunettes ont l’air de vouloir survivre à chaque insurrection, à chaque trafic internes, chaque inversement des rôles de pouvoir, chaque panne d’électricité et chaque menace terroriste.
Ruth Adams est devenu une figure appréciée des enquêtes policières et même une alliée secrète du détective chauve-souris. Ses méthodes sont pourtant souvent controversées, on l’accuse régulièrement de se montrer très cruelle avec ses patients. Ruth est dans une démarche de guérison à tout prix, quitte à rendre le patient sénile, incontinent ou larvaire. Elle est aussi dans une dynamique de l’obsession où les jours du seigneur et les prises d’otage n’interrompent jamais la recherche. Elle a vu suffisamment de ses collègues sombrer dans la séduction ou la dégénérescence, comme sa tristement fameuse collègue Harleen Quinzel, pour tenir sur ses gonds avec la force d’un golem de fer.