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Scherzo (Ft Jason Todd)


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Message envoyé le : Lun 30 Mai - 22:36

Maria Fernandez
Je ne suis pas folle...
Deux semaines. Cela fait deux semaines depuis cette après-midi dans la serre, avec lui. Deux semaines sans le voir, ni même entendre sa voix au loin. Deux semaines muettes, à ne parler que lorsque je n'ai pas le choix, en consultation par exemple. J'ai l'impression que l'asile est encore plus gris qu'avant, plus morne. Les rires me semblent plus grinçants, les cris plus perçants. Même le rire cristallin de ma colocataire d'infortune me semble moins mélodieux. Je ne suis pas allée au jardin de ces deux semaines. Et pourtant, j'ai revu plusieurs fois le gardien qui acceptais encore de m'y emmener. La première semaine, il m'a demandé à chaque fois où je voulais aller, sans la moindre menace dans la voix. J'aurais pu regagner cet espace qui a vu naître et mourir notre lien. Il m'y aurait emmenée, je le sais. Mais j'ai demandé la cour. Encore et toujours. La cour où je sais qu'il n'est pas admis. La cour où je sais que je vais rester seule, dans un coin, à attendre qu'on nous enferme à nouveau. Mes journées se résument à ça : être enfermée, descendre manger, aller dans la cour, retourner dans ma cellule. Rien d'autre. Pourquoi y aurait-il autre chose après tout ? A part la peur, bien sûr. La peur et la tristesse. Ce sont mes deux seules émotions autorisées désormais. Je revois sans cesse l'étincelle dans son regard qui se brise, son retrait, son dos qui me chasse en silence. Je repense à la culpabilité, à la honte. Parfois les larmes se remettent à couler en silence, alors que je suis recroquevillée sur moi-même sur mon lit, face au mur. Il habite mes rêves autant que mes autres démons désormais, tantôt comme cette présence chaude et forte qui me rassurait avant, tantôt comme un fantôme sanglant au cœur arraché et aux larmes incessantes nous noyant tous deux. Il n'a pas pleuré pourtant. Je ne l'ai pas vu pleurer. Il semblait fort, stable sur ses pieds, pas le moindre frisson ou sanglot. Mais dans mes cauchemars, il pleure. Il pleure comme moi je pleure. Des larmes qui reviennent sans cesse, et qui ne soulagent rien du tout.

C'est un de ces cauchemars humides que j'ai eu cette nuit, et son image blessée et inondée par ses pleurs est encore fraîche dans ma tête, alors que je fais ce trajet si connu de ma cellule vers le réfectoire. C'est le moment que j'appréhende le plus, parce qu'il n'est pas rare que je sois obligée de manger proche de détenus inquiétants, et que c'est l'endroit où je suis la plus en danger si une de mes crises survient. J'y vais donc le cœur lourd, inquiet, meurtri par le souvenir de cette nuit. Je prend un plateau, me fait servir un repas dénué de goût, comme toujours, et m'installe à une table peu remplie, évitant les plus pleines pour pouvoir mettre de la distance entre moi et les détenus déjà installés. Ils parlent entre eux, et ne m'ont, me semble-t-il, pas remarquée. Tant mieux. Le regard fuyant, je commence à manger, lentement, sans appétit. Je me demande vaguement si j'ai perdu du poids ces dernières semaines, entre les repas sautés à cause de mes crises, et le peu que je mange à cause de mes démons. Mais ça n'a pas grande importance pour qui que ce soit ici, désormais. Je remarque une table vide, en face de moi, mais un gardien en empêche l'accès, je me demande pourquoi.

Et puis soudain, les voix se font plus basses, le brouhaha diminue. Du coin de l'oeil, je vois trois personne entrer ; une en orange, les autres en bleu nuit. Je tourne mon regard vers le groupe, et me fige. Lui. C'est Lui. Jason. Mon cœur se met à battre plus vite, envahi par un bonheur réflexe qui se change rapidement en peine immense. La scène de la serre se rejoue sous mes yeux, sa peine, son dos tourné, mon départ sans un au revoir de sa part. La résignation à une perte irréparable. Je baisse le regard, bien que je le suive malgré moi du coin de l'oeil. Il ne m'a sans doute pas remarquée. Pourquoi m'aurait-il remarquée ? Si ça se trouve, il m'a déjà oubliée... Le groupe se dirige vers la table vide, face à la mienne. Incapable d'y résister, je lève mon regard vers lui qui me fais face, et crois le sien, toujours aussi noir et profond. J'ai l'impression de redécouvrir son visage, sa peau pâle et lisse, ses sourcils naturellement froncés, ses cheveux aussi noirs que les ailes des corbeaux, ses lèvres roses pâles si fines. Son visage est toujours dressé face à moi, et j'ai l'impression qu'il me regarde moi, mais peut-être ne regarde-t-il rien de particulier. Si jamais son regard est bien sur moi... que voit-il en moi ? Que reconnaît-il ? Que ne reconnaît-il pas ? Que peut-il lire, dans mon regard ? Ma douleur ? Ma culpabilité ? Mes cauchemars ? Ma solitude... ?

Maria Fernandez


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Message envoyé le : Mar 31 Mai - 17:32

Jason Todd
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 Chaton
Le temps tourne en rond et je m'accorde pour tourner avec lui. Pas physiquement, je ne veux plus tourner en rond. Me battre contre une cage ne la ramènera pas. Ca ne la fera pas moins souffrir et moi non plus. Les jours ont l'air de se ressembler, mais quelque chose se creuse un peu plus chaque jour, un vide supplémentaire me fore la poitrine et tâche d'arracher ce qui me reste d'humanité et d'espoir.
Je n'ai jamais beaucoup dormi, à Arkham, mais les nuits deviennent si longues que je m'endors à de multiples endroits, sans crier gare. Je n'ose plus vraiment dormir et si jusqu'à présent mes nuits étaient hantées par l'abandon de mon père et la torture, c'est la détresse d'une biche qui me ronge l'esprit. Son manque,  l'état dans lequel j'ai du la lâcher. La rancœur me bouffe, mais j'essaye de me convaincre nuit et jour que j'ai bien fait. Bien fait de la repousser, d'avoir monté un mur de pierre entre elle et moi, mais mon cœur me hurle que non. Il me fait comprendre, sans cesse que c'était stupide, alors que je m'endors en plein après-midi, je me réveille en sursaut, arraché et le cœur battant. Rongé par l'envie de m'excuser et de la rattraper, je rêve que je peux tendre la main, l'effleurer à peine et je sens sa présence invisible contre moi… Et s'évapore, aussi vite. M'échappe, me gifle presque.

Tu ne peux pas Jason.

Ce n'était pas la première fois que ça me réveillait, d'entendre sa voix me tirer du sommeil. J'avais appris à ne plus la chercher, recroqueviller simplement sur moi même pour essayer de calmer les tensions de mon corps. J'avais reçu des coups, j'étais mort, mais je ne supporterais jamais cette douleur là. Elle me connaît au sol, contraignaient mes mouvements plus que n'importe quel supplice. Le vide mon cœur m'arrachait des gémissements et des larmes tant la douleur était vive et puissante. Pourvu que ça s'arrête, je ne veux plus avoir mal. La mort me semble presque moins douloureuse à côté.
Les mains serrés dans mes cheveux bruns, je me balance, au point d'être incapable de respirer, mais tu dois te reprendre Jason. Arkham cherche à te rendre dingue, mais ce n'est pas comme ça que ça doit se passer !

" Todd… Lève toi."

J'entends la voix clairement à travers la vitre. Je ne sais pas quand ils l'ont ouverte, s'ils attendaient que je me calme ou non. Je hoquète en les fixant, désemparé, mais pour une fois, ils n'ont pas d'expression moqueuse. Il me regarde, presque avec peine… Peut-être se désole t-ils de me voir dépérir, moi qui étais la seule animation de leur journée. Réduis au statut d'animal apeuré. Ils ne se répètent pas. Ils m'attendent et je sens qu'ils ne forceront pas. Suis-je tombé si bas pour qu'ils ne me secoue même plus ? J'ai perdu le gout à combattre pour survie, est-ce que c'était ça que je voyais ? Je passe la paume de ma main sur mon visage pour me ressaisir et contacte que celle-ci est humide, mais qu'importe. Je me relève, tremblant, mais je dois me tenir droit. Je dois faire face. Arkham ne m'aurait pas comme ça.

Jusqu'au réfectoire, personne ne parle. Je n'ai plus gout à les chercher. Je me demande même encore combien de temps ils porteront leur protection. Je rentre dans la salle toujours aussi silencieuse, mais j'ai l'impression de ne rien mériter de tout ça. Je ne suis plus un loup, pas un chasseur. J'ai tout perdu, hein ? Je balaye la salle du regard, malheureux jusqu'à la moelle. Je le sens, ce regard, toujours aussi mordant, mais il n'est plus aussi brulant. Le froid me consume, oui. Je ne sais plus si ma peau est toujours aussi chaude. Si j'aurais la même hargne à me défendre. Je ne connais plus ma force comme je ne me connais plus libre, ni sauvage.

Je m'assieds, sur la place que je connais. Toujours seul, mais je ne regarde pas même ce que j'ai sous le nez. Je n'écoute pas les murmures qu'on adresse à mon égard. Je ne veux pas savoir ce qui se dit. Respirer me fait mal, elle enfonce un poids supplémentaire à ma poitrine démesurément vide.
J'ose lever les yeux, et je la vois. Mon cœur s'arrête, ou alors il tombe trop bas. Je me fige, comme un prédateur trouve sa cible. Je ne bouge pas, comme si je n'existais plus. Je peine à croire que c'est elle. Ma biche.
Mes lèvres s'entrouvrent, comme si j'allais l'appeler, mais je ne peux le faire. Le temps s'arrête, les paroles que je n'entends plus. Le sang me bat les tempes, ma tête vibre et tout résonne, à l'intérieur.

Reviens, s'il te plait. Ne me laisse pas.

 

Jason Todd


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Message envoyé le : Jeu 2 Juin - 19:48

Maria Fernandez
Je ne suis pas folle...
Je ne bouge plus. J'ai arrêté de manger, arrêté de balayer son visage familier du regard, peut-être même arrêté de respirer. Parce que j'ai croisé ses yeux. Parce que j'ai vu qu'il me fixait comme je le fixais du regard, que ses yeux me parlaient, m'appelaient. Tu te souviens de moi alors ? Tu n'es pas fâché... ? J'ai peine à croire ce que je vois dans ses yeux ; une détresse, une demande d'aide. A qui ? Moi ? Moi qui ai failli à ma promesse ? Moi qui ai prouvé que j'étais incapable de lui offrir le soutien dont il a besoin ? Moi qui ne suis plus rien si ce n'est un poids mort ? C'est de moi qu'il veut de l'aide ? Mais... comment ? Non. Non, non, non. Je comprends mal. Je comprends forcément mal. Je sais comment ça s'est terminé la dernière fois, je ne veux pas qu'il revive ça... ni moi d'ailleurs... Je n'y tiendrai pas... Et pourtant, mon regard reste braqué sur lui, incapable de s'en détourner, comme s'il était la seule lueur dans une nuit aussi sombre que mes moments d'obscurité.

J'entends du bruit à côté de moi. Une chaise qu'on tire, un plateau qu'on fait glisser, une nouvelle chaise qu'on bouge, plus proche. Je sursaute un peu quand la voix retenti, proche de moi :

« Ba alors la jolie, on aime les caïds ? »

Je tourne brusquement le visage vers mon voisin, qui n'est autre qu'un des deux détenus de la table qui s'est rapproché de moi, et me serre de l'autre côté de ma chaise, aussi discrètement que possible.

« Fais gaffe petite, il est pas commode celui-là, il mord et tout. Il ferait qu'une bouchée de toi, t'es mieux avec nous crois moi. »

C'est le second détenu, et sa réplique semble les amuser profondément tous les deux. Il se lève, et vient se poser devant moi, me coupant la vue de Jason, et ce simple changement me fait un pincement violent au cœur. Pourquoi réagir ainsi ? C'est pour le mieux, pour le mieux ! Je baisse les yeux pour ne pas croiser ceux des deux autres détenus, qui ricanent toujours :

« Oh, ba fait pas la timide ! On est sympas, tu verras, tu vas te plaire ! »

« On te traitera comme une princesse... »

Nouveau rire qui me glace le sang, je secoue la tête sans les regarder :

« J... J'ai fini de manger, je dois y aller... Désolée... »


C'est faux, je n'ai presque rien mangé, mais j'ai peur. Je veux quitter cette table, m'en éloigner le plus vite possible. Et dire qu'ils seront dans la cour en même temps que moi... Mon nouveau voisin met sa main sur mon bras, et je me lève brusquement, manquant de peu de renverser ma chaise, ou de me renverser moi je ne sais pas. J'hésite à abandonner mon plateau là et à me sauver en courant mais les gardiens ne me laisseront pas faire, je le sais. Je reste là, debout sous leurs ricanement, mon regard cherchant à se poser à un endroit qui paraîtrait moins hostile, mais où trouver un tel point dans ce réfectoire ? Bien sûr... Lui... Je le vois de nouveau, la panique inscrite sur mon visage. Jason... J'aimerais tellement pouvoir courir me mettre à sa table, lui dire à quel point j'ai peur, chercher la sécurité de sa présence. Mais c'est égoïste. Moi, je ne peux lui apporter aucune sécurité, aucun vrai réconfort. Je ne peux pas le serrer dans mes bras, ni même lui tenir la main sans trembler. Je peux juste prendre des coups pour lui, et lui en valoir d'autres à cause de mon insolence...

Et pourtant, je fais un pas en avant, un tout petit pas vers lui, un pas vers ce rêve qu'il incarnait et qui s'est transformé en fantôme d'eau et de sang depuis notre rencontre à la serre. Un pas inconscient au milieu d'un monde clos qui a à demi disparu autours de moi, pour le laisser lui, seul être parfaitement clair et incroyablement rassurant.

Maria Fernandez


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Message envoyé le : Jeu 16 Juin - 11:28

Jason Todd
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Est-ce qu'on essayait me tuer à nouveau ? Est-ce qu'on essayait de me tuer en instaurant un mur invisible entre elle et moi ? On essayait de me tuer alors, d'une façon bien sournoise, vicieuse. Nous étions comme dans deux boites transparentes sans que jamais nos mains ne se touchent, avec nos yeux et nos cœurs pour souffrir. Je ne peux détacher mon regard de toi, même si ma conscience me hurle que je dois le faire. Le cœur au bord des lèvres, je me sens articuler sans prénom, sans un son. Je ne l'appelle pas réellement. Je ne veux pas recommencer les même erreur et pourtant, j'ai besoin de la rejoindre.
Elle sursaute et c'est à ce moment que je reprends conscience du monde qui m'entoure. Elle n'est pas seule, on l'entoure et moi, j'ai l'impression d'être le seul savoir qu'il ne faut pas. Comme un confident ou un chevalier. Comme si ma mission première était de la protégée et comme si mon existence entière était faites pour la rattraper quoi qu'il arrive.
Un des patients la coupe de moi. Je réagis, me dresse, prêt à bondir, mais je me souviens que je ne dois pas. Pas pour elle. Ni mon collier, ni mes gardiens ne m'en empêche, mais c'est bien elle. Je n'entends pas ce qu'ils disent, pas assez distinctement, mais mon cœur enrage seul pour moi. Ils ne devraient pas être là, mais personne ne la protège. Personne ne lui dit que tout ira bien, si elle reste prêt de lui.

Ils rient, et elle est seule. Lorsqu'elle se lève, j'amorce un mouvement aussi. Aussi prompt qu'un chien qu'on a trop bien dressé. " Todd. Assis. " m'ordonne mon gardien que j'entends sans écouter. Je sais ce qu'il me dit, mais je l'ignore, prêt à mordre comme un loup. Je frémis, ma peau se hérisse. La haine qui ronronnait en moi, la bête sauvage gronge et s'étire. Je sens qu'elle n'est pas morte, pas complètement à terre. Elle n'attends qu'à se relever, abattre ses crocs et protéger sa meute. Même si sa meute est petite, même s'il la déjà perdu, il est prêt à se blesser de nouveau.
Je n'ai rien à prouver. Je n'ai plus rien à prouver. Je ne prétends pas être un héros, mais si j'existe, c'est pour protéger ce qui doit l'être.

Maria en fait partie.

Elle avance un pas vers moi et l'animal se réveille. Je renverse mon plateau. " Todd ! En place ! " Je sais que ce n'est pas moi qu'on impose d'être en place, mais les autres. Personne ne veut m'approcher, mais je m'en fiche. Mon collier m'envoie un choc qui aurait pu me mettre au sol, mais je tiens bon. Je rejoins la place de Maria, j'écarte d'un coup de poing dans les côtes les autres patients avant que mon collier ne m'étrangle et m'empêche de me défendre de nouveau. Je retiens un grondement de douleur qu'ils n'auront pas le mérite d'entendre, mais mon genou touche le sol. Ma respiration devient alors douloureuse, mais au moins, je la protège. Je resterais là jusqu'à ce que tu sois seule et paisible, que quelqu'un prendra la relève.

Je me relève, tant bien que mal, en butant mon dos contre sa petite épaule, toujours ridiculement fine à côté des miennes. Un patient s'approche, prudemment, mais je sais qu'il n'osera pas me toucher. Que même avec un collier, je tiendrais le coup pour elle. Je sens mon dos plier, sous les chos qu'il m'impose, mais je tiendrais bon. Les brûlures, les cicatrices ne sont rien. " Dégage ! " J'abois après le détenu, en entendant les gardiens venir reprendre Maria.

 

Jason Todd


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Message envoyé le : Sam 25 Juin - 21:11

Maria Fernandez
Je ne suis pas folle...
Je l'ai vu remuer les lèvres. Je suis sûre que je l'ai vu articuler un mot. Un prénom. Le mien... Un appel silencieux, une corde invisible lancée pour maintenir un lien que le destin lui-même proscrit. C'est ce lien qui me fait me tourner vers lui alors que le monde entier autours de moi me semble soudain si hostile. C'est lui qui m'a fait ancrer mon regard dans le sien, toujours aussi noir qu'étrangement rassurant. Le regard d'un homme fort, courageux, protecteur. Le regard d'un héros, pour moi, comme on en décrit dans les livres d'autrefois. Ton regard, Jason... Je mets quelques secondes à me rendre compte que je n'ai pas à baisser le regard pour rencontrer le sien, et à comprendre qu'il n'est plus assis, mais debout, face à moi bien que toujours derrière sa table, qu'il me regarde fixement, avec une flamme dans les yeux. Une flamme mécontente, mais pourtant qui ne semble pas m'agresser. Il n'est pas en colère contre moi ? Contre ma lâcheté, contre le fait que j'ai fuit ? Il ne m'en veut pas de n'avoir pas été à la hauteur de toute l'aide qu'il m'avait apportée ? Il a mille raisons de m'en vouloir, d'être en colère contre moi. Et pourtant, je ne me sens pas attaquée par le noir de ses yeux. Au contraire, j'ai envie d'y plonger, de m'y réfugier pour échapper au reste du monde, sans le perdre lui.
Envie qui me pousse à faire un maigre pas vers lui, dans la salle devenue étrangement silencieuse, seulement agitée par le rire des détenus à ma table, et l'ordre d'un des gardiens de Jason qui parvient à mon oreille. Un ordre comme on en donnerait un à un chien désobéissant. Pourquoi le traiter ainsi ? Comment peut-on mépriser à ce point un être au cœur si méritant, que la vie a déjà du blesser bien des fois si j'en crois son sourire triste que j'ai vu une fois, qui ne fait rien de mal, si ce n'est vouloir vivre ? Je voudrais leur dire de mieux lui parler, leur demander de le respecter, de bien le traiter, avec patience, affection même si possible. Il est seul. Trop seul. Encore plus seul que moi, en fait, parce que lui, on lui impose sa solitude, alors que moi je la choisis à demi. Soudain un geste brusque, de son côté. Son plateau qui vole et s'écrase au sol dans un bruit d'assiette et de verre brisés, de couverts tintant contre le sol, qui me fait sursauter. Et un autre geste, qui me semble brusque bien qu'en vrai il a du être fait à une vitesse tout à fait normal. Celui d'un des détenus de ma table qui, profitant de mon arrêt, pose sa main sur mon bras dans le but de me retenir. Je sursaute, manquant à mon tour de renverser mon plateau, et remarque que les trois sont levés pour ma plus grande terreur. J'ai le souffle court, j'essaie de dégager mon bras mais l'homme le tient fermement, ma voix s'étouffe dans ma gorge sans pouvoir demander de l'aide, quand tout s'accélère. Des bruits de coups, le détenu qui s'effondre contre la table, le hurlement du gardien, et une chaleur aussi stressante que rassurante tout près de moi, avant qu'un son étouffé ne parvienne à mes oreilles dans un bruit atroce de choc électrique.

« J... JASON ! »

Le cri m'échappe alors que je m'accroupie, plateau toujours à la main puis posé par terre, à côté de lui que je vois souffrir à cause de son outil de torture attitré. La panique monte, il a mal, très mal, je veux l'aider, le soulager, mais je ne peux pas. Je ne peux rien faire contre ce collier. Même si je pouvais le toucher lui sans difficultés, je ne saurais pas lui arracher cet instrument inhumain. Ils le punissent. Ils le punissent parce qu'il est venu m'aider, parce qu'il ne m'a pas ignorée. Je suis encore une fois la cause de sa souffrance... Je le vois à peine au milieu de mes larmes.

« Je t'en prie... Arrête... Laisse moi, ils... ils arrêteront de te faire... ça... »

Il ne semble pas m'écouter, son regard brûle toujours malgré la douleur qui semble persister. Je lève mon regard vers les gardiens, et me redresse, reprenant par réflexe mon plateau :

« Arrêtez ça ! Il ne voulait pas faire mal, je vous en conjure, arrêtez le collier ! Je retourne à ma cellule, je... »

Je me coupe en le voyant repasser devant mon champ de vision, debout lui aussi, son dos fort et pourtant tremblant pressant par accident contre mon épaule non moins agitée. Il hurle sur un détenu inconnu venu voir de plus près, le chasse avec hargne, alors que j'entends toujours le bruit de l'électricité qui brûle sa peau. Comment fait-il pour tenir ? Pourquoi tient-il, d'ailleurs ? S'il tombait au sol, s'il cessait de bouger, tout s'arrêterait. Il le sait aussi bien que moi. Et pourtant, il lutte. Pourquoi ? Pour me protéger... ? Les gardiens accourent, sans doute assurés qu'aussi affaibli qu'il est par le collier, il ne pourra lutter contre les trois à la fois. L'un d'eux fait reculer les curieux, et les deux autres foncent sur lui. Le premier me repousse avec force pour m'écarter, secousse qui me fait bondir en arrière en sentant son bras puissant presser contre mon torse, avant de noter que le deuxième a levé haut sa matraque.
Non... Non, il ne peut pas le frapper... Il ne peut pas le battre en plus du collier, juste pour m'avoir aidée... Ils ont du mal comprendre... Il va frapper, et personne ne dit rien... ? Retenir la matraque... Il faut que quelqu'un l'arrête, la retienne et protège Jason, mais personne ne bouge. Je suis la seule assez proche... Avant que j'ai pu davantage réfléchir, je me suis élancée en avant, plateau tendu devant moi pour parer le coup du bâton épais et noir qui vient s'écraser et briser le plastique rigide du plateau, propulsant de ce fait le verre, les couverts, et l'assiette à peine touchée dans les airs. Un hurlement. Pas celui de Jason. Pas le mien. Celui du gardien à la matraque. Le verre s'est brisé avec le choc de la matraque, et plusieurs éclats se sont plantés dans son visage et dans sa main. Le sang commence lentement à couler. Rien de très grave, mais sûrement très douloureux. Et je suis responsable... J'aimerais dire que le temps s'est figé à ce moment, mais ce n'est pas le cas. Deux mains puissantes me saisissent par les épaules pour me plaquer contre une colonne de béton, bras coincés dans mon dos, alors que, par réflexe, j'essaie de me dégager de ce contact qui m'oppresse. J'ai peur, j'ai mal, j'ai l'impression d'être dans un cauchemar que je ne contrôle absolument pas.

« Toi ! Ah, tu faisais l'innocente, la petite patiente sans défense hein ? Mais t'as pas su tenir plus que quelques mois comme ça, et maintenant, tu vas payer pour tes conneries ! Et ton précieux pote, aussi ! »

Maria Fernandez


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